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2 juillet 2012 1 02 /07 /juillet /2012 15:00

 

 

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Introduction de Chantal Dupille

Foi et engament politique,

la Théologie de la Libération

 

Lier foi et politique m'a toujours passionné; pour moi l'un ne va pas sans l'autre. Sans son prolongement politique, sans l'incarnation dans le quotidien de nos vies, la foi est incomplète, presque morte. Et pour moi, la libération doit être totale : Corps, âme, esprit, sociale. Via une Eglise réellement populaire.

 

A l'Arbresle, près de Lyon, le couvent des Dominicains a été construit par Le Corbusier. J'y ai séjourné lors d'un Séminaire sur les Théologies de la Libération, et je me suis liée d'amitié avec un Dominicain, l'écrivain André Laudouze, qui a publié, entre autres, "Le choix de l'espérance, Pratique marxiste et chrétienne" (Le Centurion, 1977) qui m'avait marquée. André Laudouze m'ouvrit toutes sortes d'horizons, et il me forma à la rédaction de billets engagés. C'était un homme merveilleux, discret, humble, cultivé, généreux, et j'ai savouré sa présence. Hélas, peu de temps après notre rencontre, ce jeune retraité nous quitta, mais je lui suis restée fidèle. Et à Strasbourg, j'ai suivi des cours à la Fac de Théologie, tout en fréquentant un Centre protestant, l'AUP (Aumônerie Universitaire Protestante), animé par des Pasteurs oeuvrant pour la diffusion de la Théologie de la Libération, comme le Jean-Luc Mouton devenu ensuite Rédacteur en Chef de l'hebdomadaire La Réforme avant de travailler pour la Commission de la Réconciliation en Côte d'Ivoire. L'AUP était dirigée par un Pasteur Communiste.

 

A Marseille, j'aimais écouter les messages, très engagés, du Pasteur Jean-Pierre Cavalié, communiste également, et responsable avec sa femme de la Cimade. La Parole du jour était appliquée aux situations sociales, accueil de l'étranger, chômage, etc. L'Evangile ne peut être qu'incarné...

 

En Amérique Latine, j'ai vu à l'oeuvre les Théologiens de la Libération. Par contre, aux Etats-Unis, j'ai constaté que les chrétiens étaient à l'inverse marqués par une Théologie de la Prospérité, liant Evangile et Richesse, réussite. C'était une trahison du Message chrétien.

 

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Mais si je n'ai pas rencontré d'adeptes de la Théologie de la Libération à New-York, j'ai évolué parmi les Evangéliques. Des pasteurs nous hébergeaient, mon mari et moi, et avec eux, comme avec les Officiers de la Police new-yorkaise, nous allions au coeur des territoires peuplés de gangs de rues se livrant une lutte sans merci. Nous avons vu des vies s'ouvrir à la foi, et le changement était radical, impressionnant; les jeunes convertis passaient instantanément, en acceptant Jésus dans leur coeur, de la mort à la Vie (avec Dieu).

 

Reste que l'intolérance de l'Institution romaine envers les Théologiens de la Libération a toujours été un grand scandale. Elle a tout fait pour contrer ces Mouvements de Libération alliant foi vivante et engagements politiques libérateurs. Pour moi, aujourd'hui comme hier, les deux vont de pair. Et je déplore de voir l'élan de la Théologie de la Libération cassé par la Hiérarchie. C'est un authentique scandale. 

 

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La Théologie de la Libération et son prolongement "le Kaïros", n'ont jamais réussi à s'implanter vraiment en Europe. C'est dommage, j'aurais volontiers accepté de les représenter.

 

Voici un des articles § que j'ai écrit à ce sujet, dans un magazine évangélique ouvert (Jeunesse libérée, tout un programme !), administré par un Pasteur qui chantait dans les prisons: Gérard Peilhon.

 

Cordialement, Chantal Dupille. 

 

§ http://www.r-sistons.com/eva_medias/article/003.pdf

 

 

La Théologie de la Libération

helder_camara.pngEn France l'Action Catholique Ouvrière et les Jeunesse Ouvrière Catholique furent les précuseurs de ce mouvement social, religieux et théologique issu de l'église catholique. La théologie de la libération et apparue dans les années 50 en Amérique latine. L'émergence de ce mouvement a été encouragé par des catholiques progressistes parmi lesquels on trouve Dom Hélder Câmara, l'archevêque de Recif. Le mouvement a été théorisé par le théologien dominicain Gustavo Guttiériez en 1975.


Dans la tradition chrétienne, les pauvres ont toujours tenu une place particulière : « Heureux, les pauvres, car le Royaume de Dieu est à eux » (Lc 6, 20).


Mais la théologie de la libération va au delà de la charité envers les pauvres; elle propose de délivrer les pauvres de leur pauvreté et qu'ils soient eux-mêmes les acteurs de leur libération. Par là-même, elle dénonce le capitalisme en tant que système injuste et inique, cause de l'aliénation à la pauvreté de millions d'individus et forme de péché structurel.


Le mouvement devient la voix du peuple opprimé; il se développe sur le terrain fertile de l'injustice.

« L’espoir des pauvres ne périt jamais » (Ps 9, 19)


Il faut bien le reconnaître, la position du Vatican est assez difficile avec cette approche théologique. La condamner, c'est mettre à mal la doctrine sociale de l'Eglise; l'approuver c'est reconnaître des thèses d'inspiration marxiste et ouvrir une brèche dans l'unicité ecclésiale de ses membres.


Dans les années 1980, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, présidée par le cardinal Ratzinger (le futur Benoit XVI), a condamné les thèses "marxisantes" de ce mouvement. En 1982, lors de son voyage à Mexico, Jean-Paul II déclara : "L'Eglise n'a pas besoin de faire appel à des systèmes ou à des idéologies pour aimer et défendre l'homme, pour contribuer à sa libération", en s'opposant "à toutes les formes d'esclavage et de domination, à la violence, aux atteintes à la liberté religieuse, aux actes d'agression contre l'homme et la vie humaine".


Les peuples d'Amérique du Sud ne le ressentent pas ainsi :  « Nous avons été abandonnés par notre Église. Les prêtres sont retournés dans leurs temples; ils ne partagent plus avec nous, ne vivent plus parmi nous ». La confusion a fait le nid des Evangélistes et les Pentecôtistes.


Aujourd'hui, après la chute de l'empire soviétique, la Théologie de la Libération appuie sa rhétorique sur les thèses altermondialistes, la défense des femmes, de l'environnement, des minorités et des peuples opprimés. Les évêques brésiliens sont ainsi engagés dans le soutien des populations opposées aux projets gouvernementaux de barrages hydro-électriques : un projet qui rayerait de la carte l'environnement naturel de plus de 20.000 Indios dont les Munduruku qui ont leur propre culture, leur langue et vivent de la pêche sur les rives du fleuve (source zenit.org).


Des courants de l'islam et du protestantisme développent aussi une "Théologie de la Libération" selon leur propore sensibilité religieuse.

« Qu’as-tu fait ? Écoute le sang de ton frère crier du sol vers moi » (Gn 4, 10).

 

http://www.sfx-paris.fr/node/491?format=simple


 

 

Le Marxisme de la Théologie de la Liberation

Par Michael Löwy le Jeudi, 20 Juillet 2000

 

La théologie de la libération, c'est tout d'abord un ensemble d'écrits produit depuis 1971 par des figures comme Gustavo Gutierrez (Pérou), Rubem Alves, Hugo Assmann, Carlos Mesters, Leonardo et Clodovis Boff (Brésil), Jon Sobrino, Ignacio Ellacuria (El Salvador), Segundo Galilea, Ronaldo Munoz (Chili), Pablo Richard (Chili, Costa Rica), José Miguel Bonino, Juan Carlos Scannone (Argentine), Enrique Dussel (Argentine, Mexique), Juan-Luis Segundo (Uruguay) - pour ne nommer que certains des plus connus.


Mais ce corpus de textes est l'expression d'un vaste mouvement social, qui est apparu au début des années 1960 - bien avant les nouveaux ouvrages de théologie. Ce mouvement comprenait des secteurs significatifs de l'Eglise - prêtres, ordres religieux, évêques- des mouvements religieux laïcs - Action catholique, Jeunesse universitaire chrétienne, Jeunes ouvriers chrétiens - des commissions pastorales à base populaire -pastorale ouvrière, pastorale de la terre, pastorale urbaine - et les communautés ecclésiastiques de base. Sans la pratique de ce mouvement social - qu'on pourrait appeller christianisme de la libération - on ne peut pas comprendre des phénomènes sociaux et historiques aussi importants dans l'Amérique Latine des 30 dernières années que la montée de la révolution en Amérique centrale - Nicaragua, El Salvador - ou l'émergence d'un nouveau mouvement ouvrier et paysan au Brésil (le Parti des Travailleurs, le Mouvement des Paysans Sans Terre, etc). (Cf. Löwy, 1998).


La découverte du marxisme par les chrétiens progressistes et par la théologie de la libération ne fut pas un processus purement intellectuel ou universitaire. Son point de départ fut un fait social incontournable, une réalité massive et brutale en Amérique latine : la pauvreté. Nombre de croyants choisirent le marxisme parce qu'il semblait offrir l'explication la plus systématique, cohérente et globale des causes de cette pauvreté, et parce qu'il etait la seule proposition qui fût suffisamment radicale pour l'abolir. Pour lutter efficacement contre la pauvreté, il faut en comprendre les causes. Comme l'a dit le cardinal brésilien dom Helder Câmara: "Aussi longtemps que je demandais aux gens d'aider les pauvres, on m'appelait un saint. Mais lorsque j'ai posé la question: pourquoi y a-t-il tant de pauvreté ? on m'a traité de communiste ..."


Il n'est pas facile de présenter une vue d'ensemble de la position de la théologie de la libération relative au marxisme. D'une part, on y trouve une très grande diversité d'attitudes - allant de l'utilisation prudente de quelques éléments à la synthèse intégrale (par exemple, dans le courant "Chrétiens pour le Socialisme") -, de l'autre, un certain changement s'est opéré entre la position des années 1968-1980, plus radicale, et celle d'aujourd'hui, plus réservée, suite aux critiques de Rome mais aussi aux développements en Europe de l'Est depuis 1989.. Mais on peut, à partir des ouvrage des théologiens les plus représentatifs et de certains documents épiscopaux, identifier quelques points de repère communs. (Cf. Enrique Dussel 1982, Guy Petitdemange 1985)


Certains théologiens latino-américains (influencés par Althusser) se réfèrent au marxisme simplement comme une (ou la) science sociale, que l'on utilise, de façon strictement instrumentale, pour mieux connaître la réalité latino-américaine. Une telle définition est à la fois trop large et trop étroite. Trop large, car le marxisme n'est pas la seule science sociale. Trop étroite, car le marxisme n'est pas seulement une science: il prend appui sur une option pratique qui vise non seulement à connaître, mais aussi à transformer le monde.


En réalité, l'intérêt - beaucoup d'auteurs parlent de " fascination " - que les théologiens de la libération manifestent pour le marxisme est plus large et plus profond que ne le ferait croire l'emprunt de quelques concepts à des fins scientifiques. Il concerne également les valeurs du marxisme, ses options éthico-politiques et son anticipation d'une utopie future. Il se trouve que c'est Gustavo Gutiérrez qui nous offre les vues les plus pénétrantes, soulignant que le marxisme ne se contente pas de proposer une analyse scientifique, mais aussi une aspiration utopique du changement social. Il critique la vision scientiste d'un Althusser, qui "empêche de voir l'unité profonde de l'oeuvre de Marx et, par conséquent, de comprendre comme il faut sa capacité d'inspirer une praxis révolutionnaire radicale et permanente " (Gutierrez, 1972, p244) [1]


Quelles sont les sources marxistes dont s'inspirent les théologiens de la libération? Leur connaissance des écrits de Marx est très variable. Enrique Dussel est sans doute celui qui a poussé le plus loin l'étude de l'oeuvre de Marx, sur laquelle il a publié une série d'ouvrages d'une érudition et d'une originalité impressionante (Dussel, 1985, 1988, 1990). Mais l'on trouve aussi des références directes à Marx chez Gutierrez, les frères Boff, Hugo Assmann et plusieurs autres.


Par contre, ils manifestent peu d'interêt pour le marxisme des manuels soviétiques de "Diamat", ni pour le celui des partis communistes latinoaméricains. C'est plutôt le " marxisme occidental " - parfois appelé " néo-marxisme " dans leurs documents - qui les attire. Ernst Bloch est l'auteur marxiste le plus cité dans Théologie de la libération - Perspectives, le grand ouvrage inaugural de Gustavo Gutiérrez (l971). On y trouve aussi des références à Althusser, Marcuse, Lukàcs, Gramsci, Henri Lefèbvre, Lucien Goldmann et Emest Mandel. [2]


Mais ces références européennes sont moins importantes que les repères latino-américains: le penseur péruvien José Carlos Mariàtegui, source d'une marxisme original, d'inspiration indo-américaine; la révolution cubaine, tournant crucial dans l'histoire de l'Amérique latine; et enfin, la théorie de la dépendance, critique du capitalisme dépendant, avancée par Fernando Henrique Cardoso, André Gunder Frank, Theotonio dos Santos et Anibal Quijano (tous mentionnés à plusieurs reprises dans le livre de Gutiérrez). [3]


Les théologiens de la libération - et les "chrétiens de la libération" au sens large - ne se limitent pas à utiliser les sources marxistes existantes. Ils vont aussi innover et reformuler, à la lumière de leur culture religieuse, mais aussi de leur expérience sociale, certains thèmes fondamentaux du marxisme. Dans ce sens, on peut les considérer comme des "néo-marxistes", c'est à dire des innovateurs qui donnent à la pensée marxiste une inflexion nouvelle, des perspectives inédites, ou des apports originaux.


Un exemple frappant c'est leur utilisation, à côté des termes "classiques" de travailleurs ou prolétaires, du concept de pauvre. Le souci des pauvres est une tradition millénaire de l'Église,remontant jusqu'aux sources évangéliques du christianisme. Les théologiens latino-américains se situent dans la continuité de cettetradition qui leur sert constamment de référence et d'inspiration.Mais ils sont en rupture profonde avec le passé sur un point capital: pour eux, lespauvres ne sont plus essentiellement des objets de charité, mais lessujets de leur propre libération. L'aide ou l'assistance paternaliste cèdent la place à une attitude de solidarité avec la lutte despauvres pour leur auto-émancipation. C'est ici que s'opère la jonction avec le principe véritablement fondamental du marxisme, à savoir "l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes". Ce changement est peut-être la nouveauté politique la plus importante et la plus riche de conséquences apportée par les théologiens de la libération par rapport à la doctrine sociale de l'Eglise. Il aura aussi les plus grandes conséquences dans le domaine de la praxis sociale.


Certains marxistes critiqueront sans doute cette façon de substituer une catégorie vague, émotionnelle et imprécise ("les pauvres") au concept "matérialiste" de prolétariat. En réalité, ce terme correspond à la situation latino-américaine où l'on trouve, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, une masse énorme de pauvres - chômeurs, semi-chômeurs, saisonniers, vendeurs ambulants, marginaux, prostituées, etc. - tous exclu(e)s du système de production "formel". Les syndicalistes chrétiens marxistes du Salvador ont inventé un terme, qui associe toutes les composantes de la population opprimée et exploitée: le pobretariado ou "pauvrétariat". Il faut souligner que la majorité de ces pauvres - comme d'ailleurs la majorité des membres des communautés écclésiales de base - sont des femmes.


Un autre aspect distinctif du marxisme de la Théologie de la Libération c'est la critique morale du capitalisme. Le christianisme de la libération, dont l'inspiration est tout d'abord religieuse et éthique, manifeste un anticapitalismc beaucoup plus radical, intransigeant et catégorique - parce que chargé de répulsion morale - que ne le font les partis communistes du continent - issus du moule stalinien - qui croient encore aux vertus progressistes de la bourgeoisie industrielle et au rôle historique " antiféodal " du développement industriel (capitaliste). Un exemple suffit pour illustrer ce paradoxe. Le parti communiste brésilien expliquait dans les résolutions de son Vle congrès (1967) que " la socialisation des moyens de production ne correspond pas au niveau actuel de la contradiction entre forces productives et rapports de production " - en d'autres terme le capitalisme industriel doit d'abord développer l'économie et moderniser le pays avant même qu'il puisse être question de socialisme. Or, les évêques et supérieurs réligieux de la région Centre-Ouest du Brésil publièrent en 1973 un document intitulé Le Cri de l'Église dont la conclusion est la suivante:


"Il faut vaincre le capitalisme: c'est le plus grand mal, le péché accumulé, la racine pourrie, l'arbre qui produit tous les fruits que nous connaissons si bien: la pauvreté, la faim, la maladie, la mort. Pour cela, il faut que la propriété privée des moyens de production (usines, terre, commerce, banques) soit dépassée." (Obispos Latinoamericanos, 1978, p. 71).


Comme l'on voit par ce document - et par beaucoup d'autres issus du courant chrétien-libérateur -, la solidarité avec les pauvres conduit à la condamnation du capitalisme et celle-ci à l'aspiration socialiste.


Les chrétiens socialistes, grâce à la radicalité éthique de leur anti-capitalisme, se sont souvent montrés plus sensibles aux catastrophes sociales provoquées par la "modernité réellement existante" en Amérique Latine et par la logique du "dévéloppement du sous-dévéloppement" (pour reprendre l'expression bien connue d'André Gunder Frank), que beaucoup de marxistes emprisonnés dans les mailles d'une logique "dévéloppementiste" purement économique. Par exemple, l'ethnologue marxiste "orthodoxe" Otavio Guilherme Velho a sevérement critiqué l'Eglise progréssiste brésilienne pour avoir "considéré le capitalisme comme un mal absolu", et pour s'être opposé à la transformation capitaliste de l'agriculture, porteuse de progrès, au nom de traditions et d'idéologies pré-capitalistes de la paysannerie (Otavio Guilherme Velho, 1982, pp. 125-126).


Depuis la fin des années 70, un autre thème va jouer un role croissant dans la reflexion marxiste de certains penseurs chrétiens: l'affinité éléctive entre le combat biblique contre les idoles et la critique marxiste du fétichisme de la marchandise. L'articulation des deux dans la théologie de la libération a été largement facilitée par le fait que Marx lui-meme utilisait souvent des images et concepts bibliques dans sa critique du capitalisme.


Baal, le Veau d'Or, Mammon, Moloch sont quelques unes de ces "métaphores théologiques"dont Marx fait généreusement usage dans Le Capital et dans d'autres écrits économiques, pour dénoncer, dans un language directement inspiré par les prophètes vetero-testamentaires, l'esprit du capitalisme comme idolâtrie de l'argent, de la marchandise, du profit, du marché ou du capital lui-meme. La Bourse est souvent désignée comme "Temple de Baal" ou de "Mammon". Le concept le plus important de la critique marxienne du capitalisme est lui aussi une "métaphore théologique", qui se refère à l'idolâtrie: le fétichisme. Ces moments "théologico-métaphoriques" - et d'autres semblables - de la critique marxienne du capitalisme, sont connus de plusieurs théologiens de la libération qui n'hésitent pas à s'en référer dans leurs écrits. On trouve une analyse détaillée de ces "métaphores" dans le livre d'Enrique Dussel de 1993, une étude philosophique approffondie de la théorie marxienne du fétichisme du point de vue du christianisme de la libération.


La critique du système de domination économique et sociale existant en A.Latine comme forme d' idolâtrie sera esquissée, pour la prémière fois, dans un recueil de textes du Departamento Ecumenico de Investigacones (D.E.I.) de San José de Costa Rica, publié sous le titre La lutte des dieux. Les idoles de l'oppression et la recherche du Dieu li bérateur, qui a rencontré un écho considérable: paru en 1980, il sera traduit en sept langues. Le point de vue commun aux cinq auteurs - H.Assmann, F.Hinkelammert, J.Pixley, P.Richard et J.Sobrino - est exposé dans une introduction. Il s'agit d'une rupture decisive avec la tradition conservatrice et rétrograde de l'Eglise, qui présentait, depuis des siècles, l'"athéisme" - dont le marxisme était la forme moderne - comme l'archi-ennemi du christianisme:


"La question centrale aujourd'hui en Amérique Latine n'est pas la question de l'athéisme, le problème ontologique de l'existence ou non de Dieu (...).La question centrale est l'idolâtrie, l'adoration des fausses divinités du système de domination. (...) Chaque système de domination se caractérise précisement par ceci, qu'il crée des dieux et des idoles qui sanctifient l'oppression et l'hostilité à la vie. (...) La recherche du vrai Dieu dans ce combat des dieux nous conduit à une vision des choses dirigée contre l'idolâtrie, rejettant les fausses divinités, les fétiches qui tuent et leurs armes religieuses de la mort. La foi dans le Dieu libérateur, celui qui révèle son visage et son secret dans la lutte des pauvres contre l'oppression, s'accomplit nécéssairement dans la négation des fausses divinités... La foi se tourne contre l'idolâtrie" (La lucha de los dioses, 1980, p. 9).


Cette problématique sera l'objet d'une analyse approfondie et novatrice dans le remarquable livre commun de Hugo Assmann et Franz Hinkelammert, L'idolatrie du marché. Essai sur l'économie et la théologie (1989). Cette importante contribution est la première, dans l'histoire de la théologie de la libération, qui est explicitement dédiée au combat contre le système capitaliste défini comme idolâtrie. La doctrine sociale des Eglises n'avait exercé, le plus souvent, qu'une critique éthique à l'économie "libérale" (i.e. capitaliste); or, il faudrait aussi, souligne Hugo Assmann, une critique proprement théologique, qui dévoile le capitalisme comme fausse religion. En quoi consiste l'essence de idolâtrie du marché? Selon Hugo Assmann, c'est dans la théologie implucite du paradigme économique lui-même, et dans la pratique dévotionelle fétichiste quotidienne que se manifeste la "religion économique" capitaliste. Les concepts explicitement religieux qu'on trouve dans la litterature du "christianisme de marché" - par exemple, dans les discours de Ronald Reagan, dans les écrits des courants religieux néo-conservateurs, ou dans les oeuvres des "théologiens de l'entreprise" comme Michael Novack - n'ont qu'une fonction complémentaire. La théologie du marché, depuis Malthus jusqu'au dernier document de la Banque Mondiale, est une théologie férocement sacrificielle: elle exige des pauvres qu'ils offrent leur vie sur l'autel des idoles économiques.


Franz Hinkelammert, pour sa part, analyse la nouvelle théologie de l'Empire Américain des années 70 et 80, fortement imprégnée de fondamentalisme religieux. Son dieu n'est autre chose que "la personnification transcendentalisée des lois du marché", et son culte substitue la compassion par le sacrifice. La divinisation du marché crée un dieu de l'argent, dont la devise sacrée est inscrite sur chaque billet de dollar: In God we Trust (H.Assmann, F.Hinkelammert, 1989, pp. 105, 254, 321).


Les recherches du DEI de Costa Rica ont influencé les chrétiens socialement engagés et ont inspiré une nouvelle génération de théologiens de la libération. Par exemple, le jeune théologien brésilien (d'origine coréenne) Jung Mo Sung, qui développe, dans son livre L'idolatrie du capital et la mort des pauvres (1989), une pénétrante critique ethico-religieuse du système capitaliste international, dont les institutions - comme le FMI ou la Banque Mondiale - condamnent, par la logique implacable de la dette externe, des millions de pauvres du Tiers Monde à sacrifier leur vie sur l'autel du dieu "marché mondial". Bien entendu, comme le souligne Sung dans son dernier livre, Théologie et Economie (1994), il ne s'agit pas, comme dans l'idolatrie ancienne, d'un autel visible, mais d'un système qui exige des sacrifices humains au nom de contraintes "objectives", "scientifiques", profanes, apparemment non-religieuse.


Qu'y-a-t'il donc de commun et de different entre la critique marxiste et celle du christianisme de la libération contre l'idolâtrie du marché? A mon avis, l'on ne peut ni trouver de l'athéisme dans le christianisme (comme le pensait Ernst Bloch), ni une théologie implicite chez Marx, comme le suggère le brillant théologien et marxologue Enrique Dussel (Enrique Dussel, 1993, p.153). Les métaphores théologiques - comme le concept de "fétichisme" - sont utilisées par Marx comme des outils pour une analyse scientifique, tandis que dans le christianisme de la libération elles ont une signification proprement religieuse. Ce que les deux ont en commun c'est l'éthos moral, la révolte prophétique, l'indignation humaniste contre l'idolâtrie du marché et - ce qui est encore plus important - la solidarité avec ses victimes.


La critique du culte fétichiste de la marchandise était pour Marx une critique de l'aliénation capitaliste, du point de vue du prolétariat et des classes exploitées - mais aussi révolutionnaires. Pour la théologie de la libération, il s'agit du combat entre le vrai Dieu de la Vie et les faux idoles de la mort. Mais les deux prennent position pour le travail vivant contre la réification, pour la vie des pauvres et des opprimés contre la puissance aliénée des choses mortes. Et surtout, marxistes non-croyants et chrétiens engagés parient sur l'auto-émancipation sociale des exploités.


[1] Il est vrai que Gutiérrez, depuis 1984, et suite aux critiques du Vatican, paraît s'être replié sur des positions moins exposées, réduisant la relation au marxisme à une rencontre entre la théologie et les sciences sociales. (cf. Gutierrez, 1985).

[2] Dans l'ouvrage remarquable qu'il a consacré au christianisme révolutionnaire en Amérique latine, Samuel Silva Gotay énumère les auteurs marxistes suivants parmi les références de la théologie de la libération: Goldmann, Garaudy, Schaff, Kolakowski, Lukàcs, Gramsci, Lombardo-Radice, Luporini, Sanchez Vasquez, Mandel, Fanon et la Monthly Review. ( Samuel Silva Gotay, 1985)

[3] Sur l'emploi de la théorie de dépendance par les théologiens de la libération, cf. Luigi Bordini, 1987, chap. 6, et Samuel Silva Gotay, 1985, p. 192-197.


BIBLIOGRAPHIE


H.Assmann, F.Hinkelammert (1989), A Idolatria do Mercado. Ensaio sobre Economia e Teologia, Vozes, S. Paulo.

Ernst Bloch (1978), L'athéisme dans le christianisme , Gallimard, Paris.

Luigi Bordini, (1985) 0 marxismo e a teologia da libertaçâo, Editora Dois Pontos, Rio de Janeiro.

E. Dussel (1982), "Encuentro de cristianos y marxistas en América Latina", Cristianismo y sociedad, Santo Domingo, n° 74.

Enrique Dussel (1985), La produccion téorica de Marx. Un comentario a los Grundrisse, Siglo XXI, Mexico.

Enrique Dussel (1988), Hacia un Marx definitivo. Un comentario de los Manuscritos del 61-63, Siglo XXI, Mexico

Enrique Dussel (1990), El ultimo Marx (1863-1882) y la liberacion latinoamericana (1990), Siglo XXI, Mexico.

Enrique Dussel (1993), Las metaforas teologicas de Marx, Verbo Divino, Estella.

La lucha de los dioses. Los idolos de la opresion y la busqueda del Dios liberador (1980), DEI; S. Jose de Costa Rica.

Guy Petitdemange (1985), "Théologie(s) de libération et marxisme(s)", in " Pourquoi la théologie de la libération ", supplément au numéro 307 des Cahiers de l'actualité religieuse et sociale, Paris.

Gustavo Gutiérrez (1985) , " Théologie et sciences sociales ", in Théologies de la libération, documents et debats, Editions du Cerf, Paris .

Samuel Silva Gotay (1985) , 0 pensamento cristâo revolucionario na América Latina e no Caribe, 1969-73, Ediçôes Paulinas, S. Paulo.

Los obispos Latinoamericanos entre Medellin y Puebla (1978), UCA (Universidad Centroamericana, San Salvador.

Jung Mo Sung (1989) A idolatria do capital e a morte dos pobres, Edições Paulinas, S.Paulo.

Jung Mo Sung (1995), Teologia e Economia, Vozes, Petropolis.

Otavio Guilherme Velho (1982), Sociedade e Agricultura, Editora Zahar, Rio.

 

http://www.lcr-lagauche.be/cm/index.php?option=com_content&view=article&Itemid=53&id=687

 

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FEVRIER MARS 2011 :
Forum Mondial Théologie et Libération, série d'Interviews

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30.6.2012 -

De Medelin à Rome, quel avenir pour la théologie de la libération en Amérique latine ?

Avec Medelin, Dieu est passé en Amérique latine. Avec qui passe-t-il aujourd'hui ?


Les 10 années, de Médelin (1968) à Puebla (1979), ont été uniques dans l´époque moderne de l´Église Catholique en Amérique Latine. Après, a commencé une descente que Aparecida (2007) a voulu freiner, bien qu´il reste beaucoup à faire.

Faisant cette évaluation, nous ne nous fixons pas sur l´Église telle que l´analysent les sociologues, mais nous nous fixons sur "le passage de Dieu". Sans aucun doute, c´est plus difficile à évaluer, mais cela touche à la dimension plus profonde de l´Église et au service qu´elle doit être. En définitif, quelle est la contribution qu´elle donne aux hommes et au monde comme un tout ? Et, clairement, nous devons nous demander : "quel Dieu" passe par l´histoire en un moment donné ?

Médelin

Ce fut un saut qualitatif. Les pauvres firent irruption et, en eux, Dieu fit irruption. Ce fut un fait fondamental que pénétra dans la foi de beaucoup et changea la figure de l´Église. D´une manière surprenante, pour l´assemblée des évêques, la priorité ne fut pas l´Église en elle-même; ce fut le monde des pauvres et des victimes, c´est à dire, de la création de Dieu. Leurs premières paroles proclamèrent la réalité du continent : "une pauvreté massive produit de l´injustice". Les évêques agirent, avant tout, comme êtres humains, et laissèrent parler la réalité qui crie vers le ciel. Ce sont les clameurs que Dieu écouta dans l´Exode; elles le firent sortir de lui-même et, fermement, il entra dans l´histoire. De la même manière, avec Médelin, Dieu entra dans l´histoire latino-américaine.

À partir de cette irruption des pauvres et de Dieu en eux, Médelin pensa ce que c´est "être Église", quelle est son identité et sa mission principale et quelle doit être sa manière d´être dans le monde des pauvres. La réponse fut: "une Église des pauvres", semblable à l´intuition qu´eurent Jean XXIII et le cardinal Lercaro. Au Concile, ça n´avança pas; à Médelin, si. L’Église sentit compassion pour les opprimés et décida de travailler pour leur libération. Par beaucoup, avec plus ou moins de conscience explicite, ce fut accueilli comme une bénédiction. Par d´autres, ce fut perçu, avec raison, comme un grave danger.

Rapidement le pouvoir réagit. En 1968, Nelson Rockfeller écrivit un rapport sur ce qui arrivait, et cette Église, nouvelle et dangereuse, devait être fragilisée et freinée. La même chose arriva au début de l´administration Reagan. Les oligarchies, avec le capital, les armées, les escadrons de la mort, déchainèrent contre l´Église une persécution inconnue dans l´histoire de l’Amérique Latine. La persécution renouvelée révéla clairement la nouveauté et le fondement évangélique de ce qui arrivait. L’Église de Médelin était avec le peuple pauvre et persécuté, et connut le même sort. Des milliers furent assassinés, parmi eux une demi-douzaine d´évêques, des dizaines de prêtres, religieux et religieuses, et une multitude de laïcs, hommes et femmes. Avec ses limites, ses erreurs et ses péchés, c´était une Église plus chaste que prostituée, beaucoup plus évangélique que mondaine.

A l´intérieur de l`Église catholique, Paul VI favorisa et anima cette nouvelle Église ; mais de hautes personnalités de la Curie romaine et d´autres curies locales la disqualifièrent, maltraitèrent de manière injuste ses représentants, et même les évêques, et dessinèrent une Église alternative, différente et contraire, plus dévotionnelle, intimiste, une Église de mouvements soumis et défenseurs de la hiérarchie. Ce qui devait être évité, c´était que l´Église entre en conflit avec les puissants. L´Église populaire, née à partir de Médelin, croyante et lucide, de communautés de base, qui vivait la pauvreté du continent, souffrit la double persécution du monde oppresseur et, avec une certaine fréquence, de l´Église elle-même.

Une telle Église fut témoin et disciple de Jésus de Nazareth. Incarnée, défenseur et compagne des pauvres, elle portait la croix, et, fréquemment, mourait sur elle. Elle annonça la Bonne Nouvelle, comme Jésus dans la synagogue de Nazareth. Elle eut ses "douze apôtres", les Pères de l´Église latino-américaine, avec Dom Helder Camara, un des pionniers, Henrique Angelelli, Dom Sergio Mendez Arcéo, Leonidas Proano, Dom Oscar Romero, pasteur et martyr du continent, et d´autres. Elle arriva à être "ecclesia", dans laquelle hommes et femmes, religieux et laïics, latino-américains et étrangers parvinrent à former un corps ecclésial, une grande communauté de vie et de mission. Entre ceux de la maison et ceux du dehors. naquit une solidarité jamais vue. Augmentèrent l´espérance et la satisfaction. Et de l´amour des martyrs naquit une brise de résurrection, étrangère à toute aliénation, qui "redirectionna" l´histoire pour y vivre comme ressuscités.

Dans cette Église soufflait l´Esprit, l´esprit de Jésus et l´esprit des pauvres. Cet esprit inspirait la prière, la liturgie, la musique, l´art. ; inspirait également les homélies prophétiques, les lettres pastorales lucides, les textes théologiques "de la maison", non pas des textes simplement importés qui n´étaient pas passés par le sceau de Médelin.

Au centre de tout était l´Évangile de Jésus. Luc 4,16: "Je suis venu pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, libérer les captifs"; Mathieu 23,36-41 : "J´avais faim et vous m´avez donné à manger". Jean 15,13 : "Personne n´a un plus grand amour que de donner sa vie pour ses frères". Et Jésus de Nazareth, le crucifié ressuscité, Actes des Apôtres 2,23 :"Celui que vous avez tué, Dieu l´a rendu à la vie".

Et maintenant ?

Des recherches, des études sociologiques et anthropologiques, économiques et politiques offrent des données et des explications sur l´Église catholique et les autres Églises chrétiennes. Elles nous disent si nous augmentons ou diminuons en nombre et en influence dans la société. À partir de cette perspective, il n´y a rien à ajouter. Et, strictement parlant, ce que sera le futur de ce que nous appelons "Église" est si peu ma plus grande préoccupation, bien que j´ai vécu et que je vis dedans, et que je me suis accoutumé à appartenir à la famille.

Ce qui m´intéresse et me réjouit, est que "Dieu passe par ce monde". Et la raison est simple. Le monde est "gravement malade", disait Ellacuria, "malade à mourir", dit Jean Ziegler. C´est-à-dire, il a besoin de salut et de traitement. Pour cela, comme croyant et comme homme, je souhaite que "Dieu passe dans ce monde", car ce passage de Dieu apporte toujours le salut aux personnes et au monde dans son ensemble. Nous avons eu la chance de sentir ce passsage de Dieu avec Médelin, avec Dom Romero, avec beaucoup de communautés de base. Avec beaucoup de personnes bonnes, simples en grande majorité. Avec une pléiade de martyrs. Et aussi, bien que cela puisse se sentir seulement "dans un difficile acte de foi", comme disait Ellacuria expliquant le salut qu´apporte le serviteur souffrant d´Isaie, avec le peuple crucifié.

Comment sommes-nous aujourd´hui ? Ce serait commettre une grave erreur de tomber dans une analyse simpliste sur des choses si sérieuses. Ce serait injuste de ne pas voir le bon qui, sous de nombreuses formes, existe dans l´Église. Ce serait arrogant de ne pas essayer de le découvrir, bien que, parfois, il se cache derrière une chape qui ne renvoie pas clairement à Jésus de Nazareth. De toute manière, le passage de Dieu sera toujours un mystère insondable, et nous ne pouvons en parler qu´avec le plus grand respect envers tous. Cependant, avec toutes ces précautions, on peut en dire quelque chose. Nous ferons mention des réalités des fidèles et de leurs communautés. Pourtant, nous avons en tête surtout les hautes instances hiérarchiques, historiquement fortement responsables de ce qui arrive, et auxquelles on ne peut demander des comptes de manière efficace. Avec simplicité, je donne ma vision personnelle.

De diverses manières, abonde le pentecôtisme, avec une forme d´église distante des problèmes de vie et de mort de la majorité, bien qu´il apporte souffle et consolation aux pauvres, ce qui n´est pas à dédaigner, quand ils n´ont pas d´autre appui pour que leur vie ait un sens (différente est la situation des classes aisées). Prolifère un grand nombre de mouvements, des dizaines; prolifèrent les moyens de communication des églises, les émissions de radio et télé, soumis à l´excès aux idées et aux normes qui viennent des curies, sans donner un sentiment de liberté pour que eux-mêmes prennent en main l´évangile qui annonce la bonne nouvelle aux pauvres, sous forme de justice, et sans redouter la nécessité d´une étude, de réflexion au moins un peu scientifique, de la Parole de Dieu, et, en général de la théologie que Vatican II et Médelin ont favorisée. Prolifèrent les dévotions de toute sorte, celles d´autrefois et celles d´aujourd´hui. Jésus de Nazareth, celui qui est passé faisant le bien et qui est mort crucifié, est facilement laissé de côté au profit du petit Jésus, qu´il soit d´Antioche ou de Prague, le Dieu petit, dit avec un grand respect. Facilement se dilue le Jésus fort de Galilée, du Jourdain, le prophète des accusations contre le temple de Jérusalem en faveur des dévotions basées sur les apparitions, avec une lame de fond sentimentale et agréable à l´excès. Parlant avec simplicité, la divine providence peut attirer plus que le Père de Jésus, le Fils qui est Jésus de Nazareth, et l´Esprit-Saint qui est Seigneur et source de vie, le Père des pauvres, comme on le chante dans l´hymne de la Pentecôte.

Aujourd´hui, dans son ensemble, il est difficile de rencontrer dans l´Église la liberté des fils et filles de Dieu, la liberté devant le pouvoir qui, pour être sacré, n´en est pas moins pouvoir. On note un servilisme excessif et une soumission à tout ce qui est hiérarchie, ce qui arrive à se transformer en peur paralysante. À partir des instances du pouvoir ecclésial, surgit le triomphalisme et ce que j´appelle la pastorale de l´apothéose, de la multitude, la pastorale médiatisée. Dans beaucoup de séminaires, la discussion et la réflexion sont remplacées par le silence. Les lettres pastorales des années 70 et 80, véritable orgueil des églises, qui reverdissent de temps en temps, au Guatemala par exemple, sont remplacées par de brefs messages maniérés et prudents, avec des arguments tirés des dernières encycliques des papes. Le centre institutionnel ne parait plus être en Amérique Latine, mais dans la lointaine Rome. Tout ceci dit avec respect.

Comment sera le passage de Dieu en Amérique Latine, et avec qui passera-t-il? C´est à voir, et, en définitif, c´est l´affaire de Dieu. Mais c´est notre affaire de le souhaiter, d´y travailler, et d´apprendre la manière comment cela s´est fait à Médelin.

Il est bon de savoir et d´analyser les va-et-vient des fidèles et l´influence des Églises sur la société. Mais nous devons garder présentes les racines et la sève à partir desquelles a été vécu le passage de Dieu. Et l´arroser humblement, avec des eaux vives.

Nous en sommes encore à voir ce qui arrivera avec notre Église et avec toutes les Églises. Mon désir est que, quoiqu´il arrive, ce soit pour qu´elle se place au service du passage de Dieu dans ce monde, le Dieu de Jésus, plein de compassion, prophète et crucifié. Et le Dieu source d´espérance [...]

Jan Sobrino*



*Jan Sobrino, jésuite,  figure de la théologie de la libération, fut sécrétaire particulier de Dom Oscar Romero (NDLR)

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Théologie de la libération, entretien avec Enrique Dussel

19 avril 2012

 

Entretien avec le philosophe argentino-mexicain Enrique Dussel


portada2.jpgPendant les Journées théologiques de la région Nord qui ont eu lieu du 5 au 8 octobre dans la ville de Mexico avec la participation de représentants de la théologie de la libération, particulièrement mexicains et hispanos des États-Unis et du Canada, ADITAL a rencontré Enrique Dussel, philosophe, théologien et professeur de l’Université nationale autonome de Mexico – UNAM. Lors de cet entretien furent abordés des thèmes comme la théologie de la libération et les nouveaux courants de pensée dignes d’attention dans la production théologique, la vague de manifestations des « Indignés » de Grèce, d’Espagne, des États-Unis et des étudiants chiliens et le livre El Pensamiento filosófico latinoamericano, del Caribe y “Latino” : de 1300 y hasta 2000 [La Pensée philosophique latino-américaine, des Caraïbes et « latino » : de 1300 à 2000].


suite ici :  http://espoirchiapas.blogspot.fr/2012/04/theologie-de-la-liberation-entretien.html


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