Le blog de la journaliste-écrivain engagée Chantal Dupille, humaniste (souverainiste de gauche et verte) non-alignée sur les mensonges de la Pensée Unique. Pour s'exprimer en toute liberté sur tous les sujets. Avec passion et audace.
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Tranches de vie d'écrivain
Par Chantal Dupille
Un Lecteur, devenu ami très cher, a voulu se procurer mes livres. Et voici ce qu'il m'écrit hier : " Ce midi j'ai reçu un bouquin que j'avais commandé : je crois que j'ai bien fait. C'est ton "Histoire de la cour des miracles", en très bon état, que tu as dédicacée à Michel Eberhardt. Peut-être est-il décédé, et les héritiers ont mis en vente sa bibliothèque". Je lui ai répondu : "Oh, quelle émotion ! Comme le monde est petit, parfois. J'avais une vingtaine d'années lorsque je l'ai rencontré. C'était le Rédacteur en Chef d'un hebdo très lu à l'époque, "Noir et Blanc".
Il m'a donné mon premier emploi avant, quelques années plus tard, de présider aux destinées du magazine satirique Le Crapouillot (1), je ne l'oublierai jamais".
Voici comment je l'ai connu. En forçant le destin, et avec un peu de chance. Exactement comme pour Hachette Littérature, deux rencontres qui ont propulsé ma vie de journaliste et d'écrivain.
J'ai passé les plus beaux moments de ma jeune vie au milieu des Gitans de Grenade, partageant avec eux amitié, traditions, chants et danses : Chez les Fajardo, qui ont une cueva (grotte), et où j'apprennais la rumba gitane pour la danser ensuite avec eux devant les touristes.
Kiki le plus jeune fils Fajardo, mon guitariste attitré et ami
Je ressemble tellement à une Gitane, que partout l'on me prend pour une des leurs.
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Or donc, après avoir séjourné à plusieurs reprises chez mes amis de Grenade, j'écris un reportage sur eux, et je pars le proposer à Noir et Blanc, à deux pas des Champs-Elysées. Mais comment faire, alors que je suis étudiante à la Sorbonne et élève dans une école de journalisme, pour contacter le Rédacteur en Chef ? Certes, je commence à avoir des relations dans le milieu. Je connais bien James de Coquet, le célèbre chroniqueur judiciaire du Figaro, et d'ailleurs il me fera rentrer dans le grand quotidien comme stagiaire (il voudra aussi me prendre avec lui, définitivement, mais ce journal n'est pas ma tasse de thé).
Le reportage sur les Gitans est idéal pour Noir et Blanc, et là, je ne connais personne. Alors, un jour, je décide de forcer le destin. Sans crier gare, je me pointe au Journal. Chouette, personne à l'entrée. Je frappe à tous les bureaux. Personne. Et soudain, un homme m'interpelle "Que faites-vous là ?". "Euh... je cherche le Rédacteur en Chef". "C'est moi. Vous avez de la chance, il est 13 h, j'allais partir déjeuner. Que me voulez-vous ?" "Vous proposer mon reportage sur les Gitans, j'ai vécu parmi eux".
Une heure après, Michel Eberhardt me dit : "Ce n'est pas votre reportage qui m'intéresse, mais vous. Et votre immersion parmi les Gitans. L'article s'appellera "La vraie Gitane était Française". Un peu remanié, édulcoré, par Michel Eberhardt, il deviendra ceci :
Ensuite, il me demandera un très long reportage sur la condition de vendeuse, "un métier fichu, ou un fichu métier ?", article qui sera sélectionné par le Figaro comme le meilleur de la semaine. D'autres suivront, comme une série sur l'Education sexuelle des Français en plusieurs numéros, qui me sera confiée car à 22 ans, j'étais innocente comme une adolescente. Et Michel Eberhardt savait, le coquin, qu'il se régalerait à la lecture ! (J'ai donné mon premier baiser à 25 ans, en demandant à mon fiancé si je pouvais tomber enceinte... Dans ma famille, on ne badinait pas avec la virginité d'une jeune fille !).
Et donc, c'est Noir et Blanc qui me procura mes premières piges, régulières. Et à la faveur de cette dédicace sur Histoire de la Cour des Miracles acheté par mon Lecteur-ami, c'est tout une tranche du passé qui est remontée à la surface. En voyant surgir à nouveau devant moi le viril Alsacien qui, à 50 ans environ, m'avait donné ma première chance....
A 25 ans environ, alors que je venais de décrocher mon premier poste à plein temps dans une revue médicale, j'ai rencontré Jacques Lebar, journaliste au NouvelObs et pigiste dans ce Journal. Il s'intéressa à mes "Enragés du XV e siècle" (le mai 1468 des étudiants, dont j'ai eu l'idée en étudiant le Moyen Age en Licence de Lettres modernes). Et il le proposa au Nouvelobs, qui le lança avec 3 pages pleines.
C'est munie des critiques sur mon premier livre, que je forçais à nouveau le destin, à 28 ans, alors que, mariée, j'attendais mon premier fils. Victor Hugo et sa Cour des Miracles me fascinaient, j'avais commencé un Mémoire (après la Licence) sur "la Cour de Miracles dans la Littérature française, et j'avais préparé un plan pour un ouvrage historique. Donc, chargée de mon premier essai littéraire réussi et d'un bébé sur le point d'arriver à terme (et mon ventre était rond de bonheur), je me rendis Bd St Germain dans l'idée d'imposer un RV improvisé. Au téléphone, on m'avait donné le nom du Directeur Littéraire, Pierre Sipriot, et annoncé qu'il ne recevait pas les apprentis-auteurs. Et moi, je voulais être reçue. Qu'à cela ne tienne, j'ai poussé la porte du magasin au R de Ch, et j'ai demandé où étaient les bureaux d'Hachette. On m'a montré la direction, en me demandant si j'avais RV. Je n'ai pas répondu et j'ai foncé. La porte fut vite refermée derrière moi, avec la vendeuse aux trousses. Soudain, un bel homme me barra la route, surpris par cette intrusion un brin forcée. "Que voulez-vous ?" "Voir M. Sipriot". "C'est moi. Pourquoi ?". "Euh, j'ai un bouquin à vous proposer, mais ce n'est pas le premier, j'en ai déjà un à mon actif, et des interviews à la radio, des critiques dans la presse... Svp, recevez-moi". J'étais mignonne, rigolote, hardie, et puis on ne met pas à la porte une femme sur le point d'accoucher.
Une heure après, je ressortais avec un contrat à honorer....
Et pour corser le tout, c'est ma bonne mine, à l'époque, qui me fit remarquer par François Mitterrand, grand amateur de femmes jeunes, jolies, et écrivain (la tête pleine aussi, donc). Il avait lu 2 de mes livres, La Cour des Miracles et Les clochards ne peuvent plus vivre (suite demandée par Pierre Sipriot lui-même), et dans ces 2 ouvrages, il y avait une photo :
Sur la Cour des Miracles, et celle-ci sur Les clochards :
L'appétit venant en ne mangeant pas, le Président de la République décréta qu'il devait me rencontrer, ce qui fut chose faite dans son loft mansardé rue de Bièvre (petit bureau et grand lit), voir ici :
Voilà quelques souvenirs d'auteur à propos d'une dédicace ancienne, il y en aurait d'autres, comme l'amitié avec Michel Simon au détour d'une interview (2), et puis il arrive aussi qu'une Lectrice me rapporte une anecdote croustillante, comme ici :
Anecdotes à suivre, éventuellement !
Mais n'hésitons jamais à aider un peu le destin si, comme avec M. Eberhardt ou M. Sipriot, il ne s'offre pas spontanément à nous !
Alors, ami(e) Lecteur ou Lectrice, de l'audace, encore et toujours ! Et la chance vous sourira... peut-être !
Chantal Dupille
http://chantaldupille.over-blog.com
(1) Le Crapouillot est un journal de tranchées satirique créé en 1915 par Jean Galtier-Boissière. Son dernier numéro, le n 126, a été publié en 1996, après une existence de 81 ans (..) Certains collaborateurs et Galtier-Boissière lui-même, sont souvent très féroces dans leurs comptes rendus, leurs critiques et leurs articles. La revue est résolument un reflet de l'opinion des auteurs. Cela valut un peu plus d'une quarantaine de procès intentés au Crapouillot, en un peu plus de quarante ans sous la direction de Galtier-Boissière. À partir de 1930, Le Crapouillot ne fait plus paraître que des numéros spéciaux à caractère satirique : « La guerre inconnue », « Histoire de la III République », « Les Deux cents familles », « Vraie et Fausse Noblesse », « Les fusillés pour l'exemple » en août 1934, « Hitler, est-ce la Guerre ?… ». Suspendu en 1939, il paraît à nouveau en 1948 avec « l'Histoire d'une guerre ». http://fr.goldenmap.com/Le_Crapouillot
(2) Exemple. J'avais l'habitude de me pointer à la Bibliothèque Nationale pour mes recherches historiques (et aux Archives de Paris, d'ailleurs). Un jour, il fut décidé que seuls pourraient y accéder à volonté, les auteurs d'au moins 3 livres édités par des Maisons reconnues. Et donc, à l'entrée, vérification, soudain, bref demande de laisssez-passer. La dame me reçoit mal : Je suis jeune, avenante, et à l'époque les jeunes auteures étaient rares. "Désolée, on n'entre plus comme ça". "Ah ? Encore il y a peu..." "C'est comme ça, maintenant. Si vous n'avez pas publié au moins 3 ouvrages chez de grandes Maisons d'Edition, c'est inutile d'insister, sauf pour une courte autorisation. Donc...". "Tenez, Madame, j'ai publié 4 livres chez des Editeurs reconnus", et je montre mes 4 ouvrages. La dame, désappointée, fit la grimace... et me laissa rentrer. S'il faut avoir 50 ans, la bedaine remplie et la mine d'un historien pour être toléré, où va-t-on ?